MaPrimeRénov’ : 300 mandataires potentiellement frauduleux pour 100 millions d’euros de primes en 2023

jeudi 7 mars 2024

La session ordinaire du 27 février 2024 à l’Assemblée nationale était consacrée à des questions sur le thème « Neuf mois après : premier bilan du plan gouvernemental Agir contre la fraude ». Le Ministre délégué en charge des Comptes publics Thomas Cazenave est revenu sur la nécessaire lutte contre la fraude aux aides publiques. Rétrospective des dernières actualités en la matière.

Renforcer la lutte contre la fraudes aux aides publiques

Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics tentent d’endiguer les fraudes protéiformes à la rénovation énergétique. La loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 a interdit le démarchage téléphonique, l’activité de mandataire financier a été encadrée et le Code de l’énergie prévoit un dispositif visant à sanctionner les manquements dans le cadre des Certificats d’économies d’énergie (CEE). Alors que le secteur a été témoin d’une vaste opération de contrôle menée par le Pôle national des certificats d’économies d’énergie (PNCEE) durant l’année 2023, l’État a annoncé en parallèle un plan de lutte contre les fraudes aux aides publiques. Celui-ci vise tout particulièrement la rénovation énergétique.

Annoncée en grande pompe le 5 décembre dernier, une cellule de veille interministérielle anti-fraude aux aides publiques a été installée. Elle rattachée à la mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF).

Elle réunit selon les thématiques de fraude abordées, l’ensemble des administrations et des services d’enquêtes administratifs compétents du ministère des finances relevant de la DGFiP, de la DGDDI, de la DGCCRF, de Tracfin mais aussi les directions du ministère de l’intérieur et des outre-mer concernées (la DGPN, la DGGN dont le commandement pour l’environnement et la santé) ainsi que les services d’enquêtes judiciaires spécialisés (offices nationaux et centraux d’enquêtes judiciaires).

Elle a pour mission de :

  • Cartographier les dispositifs d’aides publiques,
  • Évaluer leurs vulnérabilités,
  • Partager les bonnes pratiques,
  • Mettre en place des mécanismes de prévention avant le versement d’aides indûes,
  • Alerter tous les services de l’État sur les risques identifiés,
  • Permettre une prise en charge interservices des fraudes détectées.

Les premiers travaux de cette cellule portent sur la fraude à la rénovation énergétique et impliquent les différents ministères ainsi que le Pôle national des certificats d’économies d’énergie (PNCEE) et l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).

Augmentation de 30% des contrôles pour 2024

Son lancement s’inscrit dans un plan de lutte contre la fraude à la rénovation thermique. Celui-ci comprend une augmentation de 30 % des contrôles pour 2024 et concerne notamment les chantiers pour les logements des particuliers, les entreprises ou encore les collectivités. En 2022, 170 000 contrôles avaient été opérés, bien souvent à la suite de signalement fait via la plateforme « Signal Conso ». Ainsi, le nombre de contrôles effectués par la DGCCRF dédiés spécifiquement à la phase précontractuelle des travaux devrait doubler. Le service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) a été transformé en Office national anti-fraude (ONAF), présenté comme pierre angulaire du grand plan. Celui-ci doit le pouvoir de s’auto-saisir en la matière. Enfin, par l’adoption de la loi de finances pour 2024, une « sanction administrative générale en cas de fraude aux aides publiques » a été créée.

En 2023, l’État a identifié près de 300 mandataires potentiellement frauduleux — soit 5 % du total — et impliqués dans l’exécution de MaPrimeRénov‘, pour un montant de primes de 100 millions d’euros. La même année, l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) a procédé à plus d’une vingtaine de dépôts de plainte. 24 nouveaux emplois sont dédiés à lutter contre les fraudes aux aides énergétiques. Le Ministre délégué a fait savoir son souhait que le versement des aides soient bloquées en cas de signalement, qu’il vienne de Tracfin ou d’une autre entité. Pour l’heure, une telle mesure est impossible en l’absence de véhicule législatif. Un parallèle peut toutefois être fait en matière de contrôle des Certificats d’économies d’énergie (CEE) opéré par le Pôle national des CEE (PNCEE) puisque ce dernier peut suspendre les demandes de CEE durant la procédure (art. L 222-2 4° du Code de l’énergie).

La loi de finances 2024 a adopté un régime de sanctions administratives générales visant à lutter contre les fraudes aux aides publiques.

Elle a créé un régime de sanctions gradué applicable, en l’absence de dispositions spécifiques, à l’ensemble des fraudes aux aides publiques, qui permettra d’assortir la récupération d’aides indûment perçues d’une majoration de 40 % ou 80 % en fonction de la gravité des faits.

Ainsi, le code des relations entre le public et l’administration se voit doté d’un nouvel article L115-1 ainsi rédigé :

« Sous réserve des dispositions prévoyant des sanctions spécifiques, lorsque le bénéficiaire d’une aide publique attribuée par une administration, au sens du 1° de l’article L. 100-3, ou un établissement public industriel et commercial l’a indûment obtenue en fournissant des informations inexactes ou incomplètes, la somme à restituer est assortie d’une majoration :

1° De 40 % en cas de manquement délibéré ;

2° De 80 % en cas de manœuvres frauduleuses.

La majoration est liquidée et recouvrée selon les mêmes règles que celles applicables à la récupération de l’aide. »

Cette nouvelle sanction administrative visant à protéger les fraudes aux aides publiques, comme MaPrimeRénov’, doit être mise en regard avec celui déjà existant dans le Code de l’énergie.

S’inspirer des sanctions en matière de CEE pour renforcer celles concernant MaPrimeRénov’

En effet, la loi prévoit tout un dispositif de contrôle des CEE attribué au PNCEE. Outre les sanctions pénales, comme le faux, l’escroquerie voire l’escroquerie en bande organisée, l’abus de faiblesse, les recel et blanchiment, le PNCEE jouit de la possibilité d’infliger des sanctions administratives, dont le prononcé d’une sanction pécuniaire proportionnelle à la gravité du manquement, la privation de la possibilité d’obtenir des CEE, l’annulation de CEE, la suspension ou le rejet des demandes de CEE ou l’annulation de CEE acquis (art. L.222-2 du Code de l’énergie).

Une interrogation demeure quant à l’articulation in concreto entre la nouvelle sanction administrative visant MaPrimeRénov’ et celles déjà existantes concernant les CEE, lorsque le fraudeur a valorisé pour les mêmes travaux ces deux primes. Par ailleurs, cette nouvelle sanction interroge quant à la qualification juridique des CEE. Puisque ces derniers ne sont pas des aides publiques, elles ne devraient logiquement pas relever du périmètre de l’ONAF. Or, ces CEE représentent plusieurs centaines de milliers de gestes de rénovation, des milliers de travaux qui échapperont au contrôle des services d’enquête dûment institués. Cette situation est d’autant plus problématique que pour l’heure le dispositif MaPrimeRénov’ est en panne, l’ANAH enregistrant au premier trimestre 2024 une chute de 40 % des demandes de MaPrimeRénov‘. Si des enquêtes doivent être menées pour lutter contre les fraudes aux rénovations énergétiques c’est donc bien sur les deux fronts.

Conformément au souhait du Ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, concernant la suspension du versement de MaPrimeRénov’ en cas de contrôle, le Symbiote recommande de s’inspirer des dispositions du Code de l’énergie pour faire évoluer le droit et singulièrement du 4° de l’article L.222-2 du Code de l’énergie. Les moyens de contrôle doivent en outre être renforcés du côté du PNCEE. Par ailleurs, bien que depuis plusieurs années l’effort soit mis sur le droit fiscal pour lutter contre la fraude, le Symbiote recommande de ne pas mettre de côté le recours au droit pénal. Outre leur caractère afflictif, infamant, dissuasif et rétributif, il a pour mérite de pouvoir exclure de façon durable les fraudeurs.

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