Le 12 mars, la Cour des comptes a rendu son rapport annuel public pour 2024 consacré à l’adaptation au « changement climatique ». Elle est notamment revenue sur l’enjeu de la rénovation énergétique des logements pour s’adapter et atténuer les risques climatiques.
Un manque cruel d’investissements de la part de l’État pour faire face au dérèglement climatique
Le constat est sans ambiguïté : les administrations publiques ne financent pas suffisamment le coût de la transition écologique.
La Cour a rappelé les nécessaires justes évaluation et répartition entre les acteurs publics et privés de la charge du « mur d’investissements » à réaliser afin d’adapter l’économie et la Société au changement climatique. Toutefois, elle a tenu à préciser que cette adaptation ne doit pas être uniquement appréhendée sous le seul prisme économique et financier. Des choix de société doivent être faits dans tous les domaines de l’action publique ; il s’agit d’un enjeu démocratique pour les Français.
C’est au regard de ce prisme là que la Cour des comptes ainsi que les chambres régionales des comptes ont réalisé des enquêtes en 2023 pour alimenter le présent rapport.
Au regard des différentes contraintes, il paraît nécessaire de savoir quelles sont les mesures adaptées et soutenables à concevoir et financer et comment celles-ci doivent être réparties.
L’action publique en réponse à cette question doit être transparente, cohérente et efficiente. Elle doit convaincre les citoyens, les administrations publiques et l’ensemble des acteurs de la société (ménages, entreprises, communauté éducative, sphère associative, acteurs de la recherche…) du bienfondé de ses politiques. Elle doit par ailleurs être claire, efficace à moindre coût et doit mettre en lumière des opportunités qu’offre l’adaptation au dérèglement climatique pour améliorer la qualité de vie des citoyens, développer la solidarité entre les générations et les territoires, favoriser les créations d’emplois et la croissance de l’économie.
La France doit donc à la fois atténuer le dérèglement climatique (à défaut de l’empêcher) et s’adapter à ses impacts sur les écosystèmes et la Société. La Cour rappelle par ailleurs que l’inaction coûtera à terme beaucoup plus cher que l’action. Il vaut donc mieux fournir des efforts économiques et financiers le plus tôt possible. En la matière, les 1400 participants du Forum mondial bâtiments & climat, qui s’est tenu le 7 et 8 mars 2024 à Paris, en ont bien conscience (avec notamment l’augmentation des coûts liés à l’impact sur les infrastructures, l’augmentation des primes d’assurances, etc.).
Ce rapport est d’autant plus crucial en pleine préparation du troisième plan national d’adaptation au dérèglement climatique dans la mesure où les politiques d’adaptation vont peser sur les finances publiques nationales et locales, affecter les ménages et les acteurs économiques tandis que Bercy cherche à raboter 25 milliards d’euros de son budget pour 2024.
Plus de 6,5 milliards par an depuis 2020 pour la rénovation énergétique du parc de logements
Concernant spécifiquement le parc de logements et sa nécessaire adaptation, la Cour des comptes pointe du doigt un problème de taille : le coût de l’adaptation du parc résidentiel — 38 millions de logements en France — est totalement inconnu. La plus haute juridiction financière précise que son chiffrage n’est aujourd’hui « ni possible, faute de données techniques, ni pertinent, faute d’objectifs définis ». Elle ajoute qu’« un effort d’amélioration de la faisabilité technique et de la soutenabilité financière des travaux d’adaptation doit être conduit par l’État ».
Les aides publiques, comme les 3,1 milliards d’euros de MaPrimeRénov’, l’application du taux réduit de TVA à 5,5 %, la prise en charge des travaux par les certificats d’économies d’énergie (CEE) ainsi que l’écoprêt à taux zéro (Éco PTZ) sont les principaux outils pour mener cette politique publique en faveur de logements résilients. En 2020 l’ensemble des aides a été évalué à 6,74 milliards d’euros, 7,56 milliards en 2021 et 6,95 milliards en 2022.
À ce titre, les juges de la rue Cambon ont évalué les moyens financiers consacrés à la rénovation énergétique des logements :
Par ailleurs, et comme l’a souligné le Ministre de l’Économie Bruno Le Maire lors de son déplacement consacré à la sobriété énergétique dans les locaux de la société GE HealthCare le 11 mars, le secteur de la rénovation énergétique devra participer activement à brève échéance à valoriser des économies d’énergie réelles et vérifiées afin que les près de 7 milliards d’euros engagés participent effectivement et utilement à réduire les émissions de GES et à réaliser des économies d’énergie.
À ce titre, un travail d’évaluation est en cours, selon le Ministre, dont les résultats seront publiés l’été prochain. Il porte sur MaPrimeRénov’ et les CEE. En contre-point l’on comprend ainsi que les dizaines de milliards d’euros engagés depuis plusieurs années pour la rénovation énergétique des logements, reposant à la fois sur des financements publics et privés (MaPrimeRénov et les CEE, essentiellement), ne permettent toutefois pas d’affirmer que de réelles économies d’énergie ont été faites. La publication du rapport pourrait donc avoir de lourds retentissements dans le secteur s’il entérine cette hypothèse.
Intégrer dans la politique publique d’adaptation des logements au dérèglement climatique des travaux visant à prévenir certains risques climatiques ?
La Cour des comptes estime, au regard des milliards engagés que la politique publique en matière de rénovation énergétique des logements ne répond toutefois que « partiellement au risque de pics de chaleur qui, jusqu’en 2023, n’était pas pris en compte sauf en outre-mer ». À ce titre, les travaux de ventilation et d’isolation, qui contribuent également au confort d’été, doivent être encouragés. Pourtant, ils ne représentent que ¼ des dossiers de MaPrimeRénov, les ¾ restants concernent le changement de mode de chauffage. Par ailleurs, la rénovation globale des logements ne concerne que 3 % des surfaces rénovées.
La non-prise en compte de certains risques climatiques — inondations, pics de chaleur et retrait-gonflement des sols argileux — dans le dispositif visant à adapter les logements au dérèglement climatique est pointée du doigt par la juridiction financière. Reste à savoir si les pouvoirs publics les intégreront bientôt dans le dispositif les travaux afin de mieux les appréhender.
Ce sujet est d’autant plus crucial que ces phénomènes devraient progresser en fréquence et en intensité et devrait toucher une part croissante du territoire. 80 % de la population devrait ainsi être impactés par une exposition en moyenne à plus de 16 journées anormalement chaudes à horizon 2050. Pour faire face, de nombreux foyers pourraient avoir recours à la climatisation or cette solution n’en est pas une. En effet, elle présente des risques de mal-adaptation : augmentation de la facture énergétique — accroissant la précarité – hausse des émissions de GES et accentuation des effets d’îlots de chaleur urbain.
Un manque de cohérence budgétaire en l’absence de politique spécifique visant le parc de logements existants
Les juges de la rue Cambon soulignent que si les logements neufs au stade de leur conception et de leur construction bénéficient de nouvelles règlementations visant à faire face aux risques climatiques (inondations, pics de chaleur et retrait-gonflement des sols argileux) il n’en va pas de même pour les logements existants.
Par ailleurs le coût prospectif de l’adaptation de ces logements n’est aujourd’hui pas chiffrable, faute de données techniques et d’objectifs définis. Le coût du confort d’été dans MaPrimeRénov n’est pas non plus évalué, en l’absence d’une connaissance précise du besoin et des paramètres retenus. Il faut ainsi investir dans la recherche pour identifier les solutions de préventions et développer des solutions à bénéfices multiples.
Quoi qu’il en soit le panel de mesures est large : il va de la sensibilisation, peu coûteuse, sur la modification des usages s’agissant du confort d’été, à la transformation radicale du parc.
Ainsi la Cour des comptes recommande à l’occasion de son rapport de :
- Confirmer l’intégration des procédés de protection solaire aux périmètres des travaux éligibles aux dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements ;
- Soutenir et accélérer les projets de recherche ;
- Sensibiliser régulièrement le grand public aux risques sur les logements que constituent les pics de chaleur, le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux et les inondations.
En l’espèce, l’ensemble de la chaîne de valeur de la rénovation énergétique a un rôle fondamental à assumer. Elle participe à l’atténuation en œuvrant à baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les consommations énergétiques, par l’efficacité et la sobriété énergétiques. C’est par exemple le cas des gestes visant à décarboner les modes de chauffage. Si le dispositif le permet, elle peut demain participer à prévenir les inondations, pics de chaleur et retrait-gonflement des sols argileux.