Coup de pouce, coup de boost : le Conseil d’État rappelle que le Ministère doit organiser des consultations publiques préalables

mercredi 10 janvier 2024

Le 4 janvier dernier, le Conseil d’État rendait son arrêt dans l’affaire engagée par la FF3C (Fédération Française des Combustibles, Carburants & Chauffage) représentant les distributeurs de fioul.
En cause : un arrêté établissant de nouvelles dispositions visant à faire basculer des foyers équipés d’une chaudière au fioul vers un autre mode de chauffage et, ainsi, de décarboner le secteur résidentiel.


SORTIR DU CHAUFFAGE AU FIOUL : CERTAINES DISPOSITIONS DE L’ARRÊTÉ DU 22 OCTOBRE 2022 ANNULÉES PAR LE CONSEIL D’ÉTAT

Plus techniquement, il s’agissait de certaines dispositions de l’article 1er de l’arrêté du 22 octobre 2022 :

  • Le II ajoutant à l’arrêté du 29 décembre 2014 un article 3-4-1 prévoyant une bonification du volume de certificats d’économies d’énergie (CEE) de la fiche d’opération standardisée BAT-TH-116 « Système de gestion technique du bâtiment pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire, le refroidissement/climatisation, l’éclairage et les auxiliaires » ;
  • Le III ajoutant à l’article 3-6 un III bis prévoyant, en faveur des signataires de la charte intitulée « Coup de pouce chauffage » qui s’engagent à accorder aux ménages et à leurs bailleurs des réductions tarifaires sur certaines opérations réalisées pour leur compte et engagées jusqu’au 30 juin 2023, une bonification plus importante du volume des certificats correspondants. Ces nouvelles dispositions soumettent la bonification ouverte au titre de cinq opérations (BAR-TH-104 « Pompe à chaleur de type air/eau ou eau/eau », BAR-TH-159 « Pompe à chaleur hybride », BAR-TH-113 « Chaudière biomasse individuelle » ou BAR-TH-143 « Système solaire combiné [France métropolitaine] ») à la condition que la nouvelle installation vienne en remplacement d’une chaudière au fioul.
  • Les I et IV à VII ont pour objet de supprimer, pour les bonifications existantes, la condition que l’équipement de chauffage remplacé ne soit pas à condensation.

Ce texte, qui est la traduction juridique d’une politique publique visant à réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) de la France à hauteur de 1 million de tonnes par an, avait pour objectif le remplacement de 150 000 chaudières au fioul, soit 5 % du parc existant.



Même si le Conseil d’État ne donne pas un caractère rétroactif à cette décision, pour ne pas pénaliser les acteurs économiques déjà engagés dans la production de CEE en fonction de cet arrêté, la FF3C a obtenu satisfaction en droit puisque les dispositions des I et III à VII de l’article 1er de l’arrêté en cause ont été annulées pour excès de pouvoir.

SORTIR DU FIOUL, OUI, MAIS PAS DANS N’IMPORTE QUELLE CONDITION

Sans revenir sur le choix de cette politique publique, la juridiction administrative annule ces dispositions pour non-respect de la procédure de participation du public à la prise de décision au sens de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement et, plus largement, de l’article 7 de la Charte de l’environnement.

Selon la juridiction administrative, l’objectif de décarbonation — en l’espèce par le remplacement de chaudières au fioul — a « une incidence directe et significative sur l’environnement » de sorte qu’un tel arrêté aurait dû faire l’objet d’une « consultation préalable » publique. Autrement posé, une telle politique publique — celle de sortir du fioul pour le secteur résidentiel — compte tenu des incidences qu’elle peut avoir sur l’environnement, ne peut être arrêtée en conclave par les seuls membres du Conseil Supérieur de l’Énergie (CSE) et doit être au préalable publiquement débattue. Elle ne peut, au surplus, être prise dans la précipitation — convocation en six jours du CSE au lieu de quatorze — puisque dans tous les cas elle doit faire l’objet d’un débat public préalable.

Pour réaffirmer ce point de droit, le Conseil d’État s’appuie tout simplement sur l’article 7 de la Charte de l’environnement, texte ayant valeur constitutionnelle, qui dispose que « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, […] de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »

Le problème n’est donc pas tant la saisine hors délai du CSE — en l’espèce six jours au lieu de quatorze — mais l’absence de consultation préalable au public, en amont de la consultation du CSE.

Autrement dit : le Ministère ne peut pas faire l’économie des avis émis par les différents acteurs. Au risque de voir retoqués ses textes réglementaires par les juridictions administratives pour illégalité, le Ministère doit consulter « le public » dès lors que les décisions ambitionnées vont avoir une incidence directe et significative sur l’environnement, à l’instar de certains décrets et arrêtés de nature réglementaire relatifs aux certificats d’économie d’énergie (CEE).

Ce débat préalable doit notamment permettre aux opérateurs économiques ou encore aux entités représentatives de pouvoir s’exprimer. En contrepoint, on notera par ailleurs que le CSE n’apparaît donc pas comme une instance suffisamment représentative dans la mesure où il faut, en sus de sa saisine, consulter plus largement « le public ».

Ainsi, ce qu’il faut retenir de cette décision du Conseil d’État n’est pas tant l’annulation de certaines dispositions de l’arrêté. Ce qu’il faut retenir est l’heureux rappel de la Cour suprême administrative de la procédure administrative à respecter par le Ministère de la Transition énergétique lors des procédures administratives de prises de certains décrets et arrêtés de nature réglementaire relatifs aux certificats d’économie d’énergie (CEE) dès lors que ces derniers ont une incidence directe et significative sur l’environnement.

Compte tenu des récentes ambitions affichées par le Gouvernement en matière environnementale, de telles occurrences risquent de se répéter dans un proche avenir si bien que l’arrêt du 4 janvier 2024 rendu par le Conseil d’État, bien qu’inédit, pourrait précisément faire jurisprudence.

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