Simplifier le DPE, oui, mais pas au détriment de la politique de rénovation énergétique !

lundi 12 février 2024

Dimanche 11 février apparaissait dans les colonnes du Parisien la confirmation de la simplification du diagnostic de performance énergétique (DPE) du Ministre de la Transition écologique Christophe Béchu — à qui a été attribué le portefeuille de la rénovation énergétique après le remaniement ministériel. Cette modification devrait être au bénéfice des « très petites surfaces » de logements. L’objectif  ? Assouplir le marché de la location de logements particulièrement tendu en réinjectant 15% des logements de petites surfaces. Si les acteurs du secteur s’accordent pour dire que le DPE doit évoluer, cela ne doit toutefois pas être au détriment de l’objectif de rénovation énergétique.

LE DPE, instrument d’évaluation des performances énergétiques et climatiques des logements et bâtiments

Mis en place en 2006 et pensé comme le nutri-score du logement, le DPE est devenu l’alpha et l’omega de la politique de logement en France. Il renseigne sur la performance énergétique et climatique d’un logement ou d’un bâtiment. Selon la méthode 3 CL (calcul de la consommation conventionnelle des logements) les caractéristiques physiques et climatiques d’un logement sont évaluées par un diagnostiqueur. Cette évaluation permet d’estimer la consommation d’énergie et l’impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre (CO2) du logement ou du bâtiment. Elle se matérialise par une étiquette attribuée allant de A à G (c’est-à-dire d’un logement ayant une excellente performance énergétique à une passoire thermique).

Il relève d’une politique française d’efficacité énergétique prédéfinie au niveau européen visant à réduire la consommation d’énergie des bâtiments et à limiter les émissions de CO2. Il se conjugue avec une politique de sobriété énergétique encourageant les usagers à réduire leur consommation d’énergies.

4,8 millions de passoires thermiques en France

Concernant les logements, un propriétaire doit fournir au locataire un logement « décent » qui doit respecter des niveaux de performance énergétique minimums.

En France métropolitaine, pour être considéré comme décent, un logement doit :

  • à partir du 1er janvier 2023, avoir une consommation d’énergie (chauffage, éclairage, eau chaude, ventilation, refroidissement, etc.), exprimée en énergie finale, inférieure à 450 kWhEF/m²/an. Cette consommation est estimée dans le DPE (attention, il s’agit de la consommation d’énergie finale et non d’énergie primaire) ;
  • à partir du 1er janvier 2025, avoir au moins la classe F du DPE ;
  • à partir du 1er janvier 2028, avoir au moins la classe E du DPE ;
  • à partir du 1er janvier 2034, avoir au moins la classe D du DPE.

Les locations saisonnières ne sont toutefois pas (encore ?) soumises à ces exigences (la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue, dite « loi Anti-Airbnb », étant actuellement en débat au Parlement).

En France, le nombre de passoires énergétiques (étiquettes F ou G) au 1er janvier 2023 était estimé à 4,8 millions (soit 15,7 % du parc des 30 millions de logements), dont 6,3 % en G. Depuis le 1er janvier 2023, les logements consommant plus de 450 kWh d’énergie finale par m² et par an (une partie des logements notés G sur le DPE) sont exclus du marché locatif en métropole, car considérés comme non décents (selon la Fondation Abbé Pierre, cela représente 90 000 logements). En 2025, tous les logements classés G le seront également, tout comme ceux classés F en 2028. Pour retourner sur le marché, ils devront donc faire l’objet d’une rénovation d’ampleur.

Dans une note n°957, l’Institut Paris Région établit un panorama clair du défi à venir. La moitié des biens en location sont menacés d’exclusion du parc locatif s’ils ne sont pas rénovés d’ici 2034, soit 2,3 millions de logements franciliens correspondant à 45% des résidences principales étiquetées E,F ou G.

Selon une étude de l’agence en ligne ImoDirect, le nombre de biens proposés à la location a diminué de 34 % en un an, tandis que le nombre de candidats par annonce a augmenté de 150 %. Ce phénomène participe de l’assèchement drastique du parc privé et est intrinsèquement à la crise du logement que connaît la France.

Ces nécessaires mesurées, fixées par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et Résilience », participent ainsi du bouleversement de l’équilibre du marché de la location résidentielle.

Pourtant, une récente étude du Conseil d’analyse stratégique (CAE), un institut rattaché à Matignon, est venue corroborer les doutes déjà existants sur la fiabilité du DPE. En se fondant sur les données bancaires fournies par le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, le conseil a pu comparer la consommation d’énergie théorique de près de 180 000 logements, en fonction de leur DPE, avec les consommations effectives des habitants. Il constat une décorrélation entre les dépenses, les consommations et la classe de performance pour les plus grands logements. Ainsi, la différence de consommation au mètre carré entre un logement performant classé A ou B et une passoire thermique classée G est « six fois plus faible que celle prédite par le DPE ». L’Institut Sapiens avait lui aussi partagé certains de ces constats en novembre 2023 dans une note intitulée « DPE : sortir de cette folie collective ».

Les critiques adressées à l’endroit du DPE ne sont pas nouvelles. Durant l’été 2023, le Ministre du Logement d’alors, Patrice Vergriet, avait déjà annoncé la correction de la méthode de calcul. Le constat concernant les petites surfaces avaient déjà été dressée, notamment par le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique et d’autres acteurs privés. Parmi elles, le manque de formation des diagnostiqueurs, le fait que le DPE pénalise le chauffage électrique et survalorise le chauffage au gaz – pourtant significativement plus émetteur de CO2 – du fait du coefficient de conversion du gaz (1), supérieur à celui de l’électricité (2,3), ou encore la prise en compte de l’énergie primaire et non finale (pour en savoir davantage, lire l’étude du CAE, la note de l’Institut Sapiens, le rapport du Shift Project « Habiter dans une société bas carbone » ou encore le plaidoyer de l’association Negawatt). Pour mémoire, le DPE est actuellement exprimé en énergie primaire et en énergie finale, conformément à la directive européenne du 30 mai 2018 (UE 2018-84) modifiant la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique et les articles 15 et 20 loi relative à l’énergie et au climat (dit « Énergie-Climat »).

Le sujet du coefficient est d’ailleurs rouvert par Bercy qui entend réformer le coefficient de conversion.

Enfin, le manque de transparence est souligné. L’opacité d’élaboration du DPE et de la pondération des différents items dans la notation finale, pose un véritable souci de compréhension de l’outil. Les ménages ne parviennent pas à comprendre l’étiquette attribuée à leur logement et ne peuvent ainsi pas engager les travaux de rénovation énergétique adéquats pour en améliorer la performance. Ils n’ont, de plus, pas connaissance de la possibilité de réaliser un audit énergétique ou ne disposent pas de la trésorerie suffisante pour le réaliser. Il paraît donc nécessaire de rendre publique dans son intégralité l’algorithme d’évaluation. À ce titre, la pondération des différents critères dans l’évaluation finale devra spécifiquement être mis en avant et justifiée par le législateur.

Modifier la méthode de calcul du DPE sans modifier le calendrier d’interdiction de location

Conscient des nombreuses difficultés causées par le DPE, le Gouvernement souhaite apporter des solutions, celle avancée est le changement du mode de calcul pourtant déjà révisé en 2021.

Voici les mesures annoncées :

  1. Le calendrier d’interdiction de location / obligation à la rénovation devrait être maintenu ;
  2. Un arrêté modifiant le « biais de calcul » du DPE devrait être mis à la consultation cette semaine afin de fiabiliser le DPE. Nous n’avons pour l’heure aucune information sur le correctif proposé pas plus que sur la date d’application ;
  3. La réédition des DPE devrait se faire de façon automatique depuis L’Observatoire DPE-Audit de l’ADEME  ;
  4. Deux amendements devraient être déposés dans le cadre du projet de loi sur les copropriétés dégradées lors de sa lecture au Sénat. Le premier amendement viendra préciser que l’interdiction ne location ne s’appliquera pas au renouvellement de bail. Le second portera sur une exception au principe de l’interdiction : en cas de vote en assemblée générale de travaux dans les parties communes, les logements pourront être loués durant deux années (à compter de la date du vote).

Cette mesure de simplification du DPE devrait permettre de sortir 140 000 logements de petite surface (moins de 40 m2) de la catégorie des passoires énergétiques (classés F ou G).

Par ailleurs, le Ministre de la Transition écologique a confirmé la volonté du Gouvernement de simplifier le dispositif MaPrimeRénov’ (MPR). Le sujet devrait avancer à l’issue de la réunion avec la filière du BTP qui se tiendra ce jeudi 15 février. Un comité de suivi de la rénovation énergétique devrait être lancé dans la foulée ; il sera notamment chargé d’analyser les simplifications possibles.

Modifier le DPE, fluidifier le marché locatif sans porter atteinte à l’objectif de 200 000 rénovations d’ampleur : l’équation impossible ?

Si à l’évidence la France fait face à une grave crise du logement, il existe effectivement une iniquité entre les petites surfaces et les plus grandes en termes de diagnostic de sorte que les premières sont pénalisées par rapport aux secondes. Toutefois, modifier la méthode de calcul du DPE ne vient pas répondre au problème du mal-logement et de son coût social, évalué à 10 milliards d’euros par an pour les 12 millions de Français en situation de précarité énergétique. Modifier le DPE ne permet pas non plus de lutter contre les passoires thermiques ni contre la précarité énergétique.

Petites comme grandes surfaces doivent être rénovées, seule solution durable pour sortir du sujet de la pauvreté (et non pas « sobriété ») énergétique. Par ailleurs, comme le souligne une étude du Ministère de la Transition écologique, la rénovation des passoires thermiques du parc locatif privé d’ici 2028 et de 1,9 million de logements DPE E d’ici 2034 « permettrait de prévenir le décès de 10 000 personnes ».

Angle mort, la modification de la méthode de calcul – qui va entraîner des sauts de classe pour les 140 000 logements – aura un effet pervers : celui de réduire les montants des aides publiques et privées (MaPrimeRénov (MPR) et les certificats d’économies d’énergies (CEE)) dont pourraient bénéficier les propriétaires afin de prendre en charge une partie du coût des travaux.

Alors qu’une part substantielle des Français – et des entreprises de la rénovation – n’ont pas recours aux aides tant les dispositifs leur apparaissent impénétrables, qu’une autre se prive de tels travaux compte tenu de leur coût (le reste à charge étant trop important pour nombre de ménages) la réduction du montant des aides pour les passoires énergétiques pourrait décourager les propriétaires de procéder à des travaux. Plus encore, le changement d’étiquette du DPE, qui demeure eu indicateur pré-travaux, pourra participer à réorienter certains ménages vers le parcours non accompagné de MaPrimeRénov’ et donc faire des travaux monogestes plutôt que de la rénovation d’ampleur. Par voie de conséquence, c’est la politique publique de 200 000 rénovations d’ampleur par an qui pourrait se voir impacter. Pour rappel, il faudrait a minima 500 000 rénovations d’ampleur par an pour atteindre les objectifs européens. Or, la rénovation énergétique des bâtiments est un axe majeur de la stratégie de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

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